Faire son levain.
Jamais je n’ai pensé à un tel concept. L’idée m’a toujours intimidée. En fait, l’idée m’a toujours effrayée. Elle l'a fait de la même façon que le coronavirus terrorise une bonne partie de la population par le temps qui court.

Ce ne sont pas les bactéries de cette préparation qui me mettent en émoi, non. C’est toute cette attention accrue à laquelle je dois me soumettre pour accompagner cette créature vivante.
Prenons les plantes, par exemple. En principe, ce n’est pas compliqué de s’en occuper. Il faut juste les arroser régulièrement. Et peut-être, si on détient une once de tendresse en soi, il faut leur susurrer des mots d’amour pour que leurs feuilles resplendissent.
Seulement, même quand j’achète les plantes à entretien minime, je me plante. Oui ! Je me plante même quand j’achète les moins exigeantes, les presque intuables, les dures à cuir qui poussent parfaitement dans des climats arides.
Regarde ma sansevière (aussi appelée langue de belle-mère). Elle a récemment perdu quatre langues, qui s’étaient ramollies et affaissées sur elle-même, comme du linge avachi traînant sur le sol.
Et mon jeune cactus de Noël. Ses guirlandes vertes tirent lourdement et tristement vers le sol ; il pleure de négligence humide. On pourrait m’arrêter pour planticide volontaire.
Heureusement que mon petit monstre, autre créature vivante dont je m’occupe, ne souffre pas trop de mon handicap maternel. Mis à part ses cheveux durs comme une éponge à récurer, ses tirebouchons capillaires ou autres boules miniatures se portent bien. Même s'il reçoit une coupe de cheveux chaque trois, quatre mois ou je les démêle rarement
Mais, tout n’est pas une tragédie. Je suis quand même capable d’avoir une attention soutenue... de courte durée peut-être, mais continue tout de même. De toute façon, en ce moment, je n’ai pas trop le choix.
Je dois m’efforcer de devenir une pionnière.
Je dois aller découvrir des terres inconnues, défricher des territoires inhabités, peut-être hostiles, telle une vaillante exploratrice des temps perdus. Car, pendant quatorze jours, le gouvernement prescrit de rester confiné chez soi pour aplanir la courbe de contagion du COVID-19.
Ainsi, dans ces temps d’isolement forcé, ce qui m’importe le plus, c’est pouvoir subvenir aux besoins nutritifs de ma famille. Plus que que m’essuyer les petites parties humides de mon corps avec du papier de toilette.
Et cela implique de faire un retour dans le temps pour survivre et devenir autosuffisante avec rien de plus que de la farine et de l’eau.
Bon évidemment, il faudra ajouter d’autres aliments. Des aliments riches en nutriments essentiels sous peine de tomber en carences vitaminiques. Et nous ne voulons pas faire renaître des maladies oubliées à l’instar du scorbut (carence en vitamine C).
Bref, le lendemain de l’annonce des fermetures des écoles par le gouvernement, en ce vendredi 13, cette idée de démarrer mon propre levain a germé dans mon esprit tandis que j’essayais de comprendre la différence entre les bactéries et les virus sur la toile.
Si la plupart des bactéries sont douteuses, certaines d’entre elles sont nos chères amies.
Oui, quand bien même les virus ne seraient pas les bienvenues dans mon temple sacré, je suis très sympathisante avec les bonnes bactéries. N’exagérons pas, nous ne pouvons pas devenir des germophobes timbrés dès que nous entendons parler de bactéries. Nous avons besoin de quelques-uns de ces microbes pour assurer le bon fonctionnement de notre organisme intestinal (notre microbiome).
Et, aussi je dois dire, nous en avons besoin pour nous donner du pain délicieux qui saura s’y glisser et se digérer avec facilité.
Et donc, pendant que je m’informais sur un site de nouvelles locales à Montréal, une vidéo de l’animateur-cuisinier québécois Ricardo s’est révélée à moi. Il avait invité un membre de son équipe pour expliquer comment fabriquer son premier levain.
Cet homme trapu et barbu nous a présenté son levain de trois ans et demi qu’il a baptisé en lui donnant un petit nom : son prénom. Sa recette, à lui, consiste à :
- mélanger de la farine et de l’eau à parts égales et à laisser le tout reposer (fermenter) pendant 48 h ;
- prélever une partie de la pâte, rafraîchir avec la moitié des portions initiales de farine et d’eau et laisser reposer pendant une journée ;
- rafraîchir encore avec la même quantité précédente pour chaque ingrédient toutes les 24 h pendant 14 jours.
Au bout de 14 jours, on obtient un levain-chef et on peut faire son pain maison ! J’expliquerai cette étape quand j’y arriverai.
Alors, si tout se déroule bien, ma concoction pâteuse devrait dégager une odeur plus ou moins agréable de fermentation.
Cependant, quelque chose m’échappait. Ce qu'il fallait jeter et nourrir n'était pas clair.
Fallait-il que je prélève une partie de la pâte nouvellement rafraîchie chaque fois ? et par le fait même, que je jette plus que les trois quarts ? Ou fallait-il que je nourrisse sans cesse la même préparation ?
Une recherche plus approfondie s’imposait. Et j’avais enfin trouvé ce qu’il me fallait.
Mais, tout d’abord, c’est quoi du levain ?
Le levain (dit naturel ou sauvage) est un mélange de farine et d'eau ayant fermenté grâce aux ferments naturels présents dans la farine et aux bactéries présentes dans l'air.
Ceci permet d’introduire des germes ou des bactéries pour les faire proliférer et de faire lever la pâte du pain au levain, caractérisé par sa densité, sa mie irrégulière et son goût plus ou moins acidulé. Ce processus confère à ce pain une texture rustique, dense et légèrement élastique.
Une fois l’élevage de bactéries initié, il suffit de lui apporter de la nourriture, des soins et de l’attention sous peine de le voir mourir. 🤔
Après la fabrication initiale d'un premier levain, on en conserve généralement une partie : c'est le levain de base, aussi appelé le « levain-chef ». Celui-ci peut théoriquement être gardé à l'infini.
Ouaip, je pourrai donner mon levain en héritage à ma progéniture ou d’autres personnes intéressées. Tant et aussi longtemps qu’on lui donne de la vie.
En effet, il suffit de le nourrir, de le « rafraîchir », régulièrement avec de la farine et de l'eau pour le maintenir en vie, sans avoir à attendre une nouvelle fermentation (les ferments se multiplient à chaque rafraîchissement).
Quand tu fais ton levain-chef, il est unique. Il peut varier en goût. Cela dépendra des farines, des environnements, des zones géographiques, des mots proférés, qui sait.
Il n’y en aura pas deux comme le tien. Alors, ça vaut la peine de lui donner un nom.
Pourquoi diable voudrais-je préparer du pain au levain ?
Ben, pour toutes les raisons évoquées précédemment : pendant 14 jours, je suis confinée chez moi.
En fait, je suis à 1 h de Montréal dans le Nord, dans la belle région de Val-David pour rendre cet événement moins glauque. Alors tu sais quoi ? Autant faire son levain naturel et aller plus loin dans la pâtrisserie que faire des crêpes fines.
Mais la vraie bonne raison, c’est que le pain au levain périme moins rapidement que les pains industriels (faits avec de la levure industrielle et non naturelle). En effet, l'acidité du levain ralentit le rancissement.
Et dans des temps pareils, qui a envie de faire la ligne pendant une éternité dans les épiceries pour se procurer du pain quand les choses s’aggraveront ?
Après cet état d’urgence, quand tu reviendras à ta vie paisible et chargée, tu pourras préparer un ou deux gros pains le week-end. Et tu pourras les conserver toute la semaine enveloppés dans un torchon.
Bon, je n’ai pas encore réalisé mon levain (je m’apprête à le faire de sitôt). Mais je t’écris ceci, car je sais que cela m’aidera à mieux passer la nuit.
Ça n’a pas l’air sorcier. Mais je t’avoue ceci : je nourris quelques craintes à l’égard de cette créature et tremble à l’idée de m’y lancer.
Voici comment démarrer son levain.
Dans un récipient bien propre et rincé (de préférence en verre ou en porcelaine), on commence par mélanger des parts égales d'eau et de farine. Ça peut être 50 g ou 100 g chacune, par exemple. Idéalement, la farine devrait être bio complète ou semi-complète.
Il semble que la farine de seigle soit la plus efficace. On peut l’utiliser seule ou mélangée moitié-moitié avec de la farine blanche tout usage ou à pain.
Par ailleurs, l’eau devrait être non chlorée. Choisir de l’eau de source, de l’eau filtrée ou de l’eau du robinet reposée dans une carafe ouverte pendant quelques heures. On peut mélanger les ingrédients avec le doigt pour aider l'activité bactérienne à démarrer ou une spatule en bois.
Après quoi, on laisse reposer la mixture à température ambiante pendant deux ou trois jours (48 h ou 72 h). La « créature » commencera à gonfler et à faire beaucoup de bulles. Elle dégagera aussi une odeur peu agréable, mais loin d’être une odeur nauséabonde et dégueulasse de pourri. Dans ce cas, il faudra tout jeter et recommencer.
Ensuite, on prélève 20 % du mélange et jette ou composte le reste pour y ajouter de l'eau tiède et de la farine. Cette étape est facultative, mais ça a l’air qu’en faisant cela, on fait un genre de sélection naturelle des bonnes levures.
Bon, après, on lui donne de la nourriture et on doit le faire quotidiennement. Éventuellement, toujours à la même heure. À un moment donné, le levain gonflera et retombera de manière prévisible et dégagera des arômes un peu suris et fort agréables.
Ce phénomène se produit normalement après deux à trois semaines. À ce stade, le levain de base, le « levain-chef », est prêt.
Il est alors possible de commencer à faire du pain. Après, il suffit d'entretenir son levain en le nourrissant régulièrement si on fait souvent du pain. Ou on peut laisser son dynamisme bactérien décélérer au réfrigérateur. On dit qu’on le laisse « dormir ».
Voilà ! Maintenant, c’est parti pour cette aventure magique. Les particules vivantes sont désormais à veille de m’enchanter plus que de me terroriser.
[P.-S.Je te reviens avec plus de précisions dans mon prochain billet. Ensuite, je serai en mesure de fabriquer mon pain au levain. Avec des photos !]
[P.-P.-S. Je ne sais pas si j’attraperai le « virus » de faire du pain, mais je pense jeter un coup d’oeil sur les livres suivants :
Flour Water Salt Yeast – The Fundamentals of Artisan Bread and Pizza, de Ken Forkish, Ten Speed Press, 265 pages, 41 $.
Il y a aussi Tartine Bread, de Chad Robertson et Eric Wolfinger, Chronicle Books, 304 pages, 38,75 $.
Prie que je sois protégée.]
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