Me voilà une semaine après le week-end de la fête du Travail, cette fête qui nous a frappés furtivement. Pour moi, ce moment s’est transformé en quelque sorte en une célébration qui suscitent des sentiments mitigés. Habituellement, ce long congé est le moment où l’on chôme et célèbre mes réalisations.
Mais depuis récemment, c’est devenu le moment où je commémore le décès de ma sœur benjamine, l’année 2020 étant ma première année.
Si, depuis quelques jours, mon cœur coulait au tréfonds de l’océan, mon corps, lui, se laissait bercer à la surface de l’eau. J’étais si bien dans cette insoutenable légèreté que j’aurais voulu que ce sentiment dure éternellement. Cela dit, outre l’occasion de fêter son labeur, une autre vérité indéniable s’impose après le long week-end : la fin de l’été approche.
Au début de l’été, je savais pertinemment que cela arriverait, mais je refusais de croire qu’il défilerait comme un film joué à double vitesse.
Cependant, je ne peux pas démentir que des réalisations culinaires ont vu le jour pendant ces quelques jours de douces paresses.
Certes, des repas exquis en ont résulté.
C’est que j’avais de bonnes excuses pour cuisiner. Quelques bulletins alléchants du New York Times se sont retrouvés dans ma boîte de réception pour me souffler des idées de repas mettant en vedette des ingrédients de saison.
Pour une des rares fois, je suis restée au bercail, seule avec mon petit, alors que M. Agréable était retourné aux côtés de sa mère à Trois-Pistoles. Finalement, la bonne mine de son père était éphémère et semblait s’éteindre à petit feu.
Mais tout n’est pas condamné à la morosité.
Vendredi, j’ai reçu un duo de jeunes convives âgés de 9 ans qui étaient excités de voir la plus grande attraction depuis deux semaines : deux chatons tigrés au pelage gris et noir de 6 semaines, nés à la campagne. Nous en avions ramenés deux à la maison de sorte que nous en choisissions qu’un seul après quelques semaines d’observation.

Sachant que je ne suis pas aussi divertissante que ces petites boules poilues — et pas plus que M. Agréable, un pince-sans-rire inégalé, soit dit en passant — j’ai essayé de les réjouir par mes plats cuisinés. Une tâche épineuse, mon ami·e.
Mais j’avais concocté un plan astucieux. En tant que femme seule à la maison, avant d’accepter de m’aventurer sur le terrain glissant de la réception de trois gamins déchaînés, ils ont été soumis à mes diktats de la cuisine. Ils viendraient chez moi à la seule condition qu’ils mangent toute ma bouffe — tout ! — sans exhaler de plaintes.
Il n’y a pas plus décevant que de voir des enfants repousser leur assiette à peine mangée en raison d’une lamelle d’oignon, d’une moucheture verte ou d’un point de poivre imperceptibles. Enfin, à mes yeux hyposensibles d’adulte.
Ma tactique gagnante était de leur faire des pâtes. Mais pas n’importe quelles pâtes. Des pâtes avec un petit plus : une purée de maïs en tant que sauce blanche crémeuse. Je me donne une note de 14/20 pour cet exploit.
Trois personnes et demie sur cinq ont adoré le plat : en commençant par moi, mon fils et l’un de ses potes. La demie personne vient du fait que son autre ami avait adoré mon plat jusqu’à ce que des flocons de chili l’aient trahi et refroidi. Il n’a pas pu se lever de table avant de respecter son contrat. La dictature est merveilleuse.
Les autres jours s’avéraient plus gracieux.
Samedi, j’ai fait mon premier pappa al pomodoro (soupe aux tomates et au pain) avec des tomates Roma. Je me suis laissé emporter par ce plat dont la saveur élémentaire des tomates, tantôt sucrées et tantôt acidulées, était au rendez-vous. Vives et parfumées, elles étaient enrichies avec une bonne huile d'olive fruitée et du pain doux et gonflé (fait maison, en plus). Remarque : je pense que des tomates anciennes/ancestrales auraient fait un carton.
Dimanche, mon petit monstre et moi avons quitté la ville de bonne heure pour aller respirer l’air frais à une heure et demie au nord de Montréal, à Saint-Donat — un programme confortable par une belle journée ensoleillée.
Je suis partie avec l’idée de confectionner un crumble aux prunes, quelque chose qui me trottait dans la tête depuis quelques jours. En effet, j’avais vu ces jolis joyaux pourpres tout poussiéreux apparaître sur les étals. Parmi celles-ci, j’avais repéré un autre type de prunes, des prunes italiennes, mais j’avais emporté avec moi des prunes plus locales. J’avais quand même eu le regret d’avoir frôlé l’autre sorte et de les avoir abandonnées dans leur lit carré en bois.
Alors, ce matin-là, avant de prendre la route vers les Laurentides, j’ai fourré les ingrédients qu’il me fallait dans un sac et je me suis arrêtée à l’épicerie du quartier pour récupérer quinze de ces bébés italiens oblongs.
Impatient de goûter à ces prunes insolites, mon petit monstre en a avalé une en chemin tandis que nous parcourions les routes aux horizons montagneux et verdoyants. Moi aussi, j’étais tentée d’en savourer une.
Mais je me suis tâchée de garder les autres fruits pour la meilleure partie.
Nous sommes arrivés peu de temps avant midi. Mes hôtes, Yolaine et Peter, n’ont pas tardé à nous offrir de petits gâteaux végé sans sucre aux canneberges (airelles). Puis, il nous ont emmenés au bord d’un lac à deux pas de leur chalet pour profiter de la première partie de la journée. En cours de route, nous avons perdu Peter, qui avait croisé un voisin et qui s’était arrêté pour exercer son grand talent de jacasseur.
Les enfants se sont un peu baignés dans le lac, tandis que, assises sur un banc, nous les observions, humions l’air frais et laissions nos cheveux danser dans le vent. En fin d’après-midi, il a été question d’une petite promenade dans les bois où nous avons philosophé sur des théories sensées mais difficilement applicables de la parentalité idéale pendant que mon fils développait ses compétences en photographie.
Comme parent, tu agirais en tant que guide, que personne-ressource pour aider ton enfant, ce nouveau voyageur perdu dans l’espace terrien, à démêler ses émotions et à bien se connaître intérieurement afin de développer son plein potentiel. Le saisir et adapter tes leçons de vie selon les traits uniques de caractère de l’enfant serait l’approche à adopter. Mais il ne faudrait pas oublier ton autocompréhension et ton autodéveloppement, tes défis quotidiens.
Cette petite balade intellectuelle a été récompensée par une foccacia aux olives qui nous attendait patiemment sur le comptoir de cuisine. Mais avant de nous mettre à table, je me suis attelée à la confection de mon crumble, pendant que Peter était parti s’approvisionner en d’autres denrées alimentaires.
Les prunes se sont vu éventrées, dénoyautées, coupées en deux et déposées dans un plat au four ; elles se sont laissées remuer à un peu de farine et d’épices et recouvertes d’une fine couverture blanche de farine, mêlée à de la cassonade, à du beurre non laitier et à des épices.
Il ne restait plus qu’à enfourner le tout sauf que...
À défaut d’avoir du papier d’alu, j’ai recouvert mon plat avec des protège-ronds de cuisinière, puis l’ai glissé dans le four, le temps que nous finissions notre repas.
Une fois de plus, j’avais affaire à des enfants difficiles à plaire. Les enfants de mes hôtes s’étaient retirés de la table, car, me disaient-ils, le crumble n’était pas leur tasse de thé.
Mais heureusement que j’ai élevé un fin gourmet.
Il n’attendait que ça et était très heureux de s’empiffrer de dessert. Après presque trois quarts d’heure, le doux parfum de ce dernier embaumait la cuisine à un point tel que la faim de Peter s’est aggravée. Il était grand temps qu’on se le mette sous la dent. J’ai ouvert le four et les prunes en confiture bouillonnaient dans leur jus et éclataient sous l’effet de la chaleur. Elles étaient prêtes à être attaquées par nos fourchettes.
Le dessus était brun pâle et agréablement grumeleux, croustillant dans certaines parties, moelleux dans d'autres, mou là où il rencontre le fruit confituré en dessous. La garniture de prune était si solidement acidulée qu’elle rappelait le goût du citron.
Je crois bien que c’est la raison pour laquelle mon petit monstre s’est servi de deux bonnes portions.
D’ailleurs, nous avons tous emboîté le pas. Pendant notre dégustation, Peter me racontait les compétences organisationnelles d’une personne efficace, ce qui a provoqué un sentiment de décalage chez moi. Je n’ai pu essuyer cette prise ou reprise de conscience désolante qu’en plongeant ma cuillère dans une troisième portion.
Mais toute bonne chose à une fin.
La noirceur était arrivée et le temps était venu pour que nous reprenions la route. Je suis montée dans ma voiture, triste de voir un autre jour du long week-end disparaître, et j’ai percé la nuit jusqu’à Montréal.
Nous sommes arrivés un peu avant minuit et, après la petite toilette de nuit obligée, nous nous sommes jetés dans nos lits, saouls de bonheur et conscients qu’il nous restait encore la journée de lundi, cette journée supplémentaire à chômer joyeusement et à célébrer nos réalisations des trois derniers jours tout en légèreté.
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